Les senteurs de Roses à crédit – Elsa Triolet

Lectures

Depuis mon enfance, je suis bercée par les livres. Grâce au pouvoir des mots, j’ai voyagé à travers les époques et les contrées, passant d’un radeau échoué sur une île aux rues d’une grande ville. Chaque trajet en métro est l’occasion de m’évader, de m’émouvoir, de m’ébahir, de m’offusquer

C’est aussi grâce aux livres que j’ai senti mes premiers parfums. Leur évocation se glisse page après page, et nous fait goûter un peu plus à la vie des personnages. Aujourd’hui, j’ai donc décider de partager au fil de mes lectures ces moments où les mots se parfument.

 

Je commence donc cette série lecture sur Roses à crédit, le premier roman du cycle L’âge de nylon, écrit par Elsa Triolet.

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La nature a donné beaucoup à Martine, les hommes peu. Elle est belle, elle a le rare don d’aimer. Mais à notre âge de nylon, elle est venue au monde dans des conditions de l’âge de pierre. Aussi le confort moderne, le cosy-corner, seront-ils son premier idéal, et le métier de manucure parmi les miroirs et les parfums d’un salon de coiffure suffit à ces rêves de beauté. Elle est en cela semblable à des millions d’êtres.

Daniel Donelle, l’amour de Martine, est déjà au-delà de cet idéal électroménager. Rosiériste, touché par l’aile de la science, il rêve à une rose nouvelle qui aurait la forme de la rose moderne et le parfum inégalable de la rose ancienne.

Un jour, Daniel créera la rose parfumée Martine Donelle, mais elle ne sera plus qu’un hommage à la souffrance.

Quatrième de couverture, Roses à crédit de Elsa Triolet, Éditions Folio 1959

 


« La toute première fois que Martine avait pénétré dans la petite maison à étage de Mme Donzert, elle en avait perdu la parole pour la journée. Aucun palais des Mille et Une Nuits n’a jamais bouleversé ainsi un être humain, tous les parfums de l’Arabie n’auraient jamais, à personne, pu donner le plaisir intense qu’avait ressenti Martine dans la petite maison imbibé des odeurs de shampooings, lotions, eaux de Cologne. »

 

« Parfumés, aérés, silencieux, capitonnés, antiseptiques, polis, aimables, souriants, fleuris, étaient les salons de l’Institut de beauté rose et bleu ciel… Flacons, écrins, colifichets, lingerie, transparences, étincellements. Les femmes, sorties des mains des masseuses, manucures, coiffeurs, comme repeintes à neuf, fraîches et euphoriques. Martine, manucure, se trouvait au coeur de son idéal de beauté, elle vivait à l’intérieur des pages satinées d’un magazine de luxe. »

 

« Les autobus étaient tellement pleins qu’ils semblaient avoir du mal à avancer avec ce poids dans les entrailles. D’habitude, Martine prenait l’autobus, mais ce soir-là ce n’était guère possible, elle aimait encore mieux descendre dans le métro, malgré les odeurs de laine mouillée et la mauvaise vapeur des vêtements et des haleines dans la chaleur souterraine. »

 

« Elle ouvrit la porte sur laquelle était écrit : Téléphone… L’appareil à son oreille, tout chaud dans la main, de l’oreille qui venait de l’abandonner… une odeur violente de Femme… »

 

« Une chambre minuscule, toute tapissée d’une étoffe à fleurs, claire, moelleuse comme un oeuf… La fenêtre s’ouvrait sur le ciel et les parfums de la nuit. »

 

« C’était un hybride nouveau, un hybride é-ton-nant ! Et, Martine, il avait un parfum ! Il ne sentait aucune des quatorze odeurs que sentent les roses… ni le citron, ni l’oeillet, ni le myrte, ni le thé… cette rose sent le parfum unique, inégalable de la rose ! »

 

« Martine accourut près de lui, ils s’assirent sur l’appui de la fenêtre ouverte, ils respiraient ensemble le parfum fruité venant des plantations là-bas, et rafraîchi dans le grand seau de la nuit, argenté par la lune… »

 

« Martine avait choisi cette chaise longue en tube métallique, si bien comprise qu’elle épousait exactement la forme du corps et que l’on pouvait redresser, abaisser d’une pression d’épaules ou des pieds. Tous les jours, elle y prenait son bain de soleil… Avec à la main le petit poste sans fil, cadeau de mariage de Mme Denise, elle passait le long du mur, traînant derrière elle comme un parfum des airs de musique. »

 

« Il posa sur Daniel un regard innocent, que l’autre lui rendit, identique. Ils reprirent leur promenade. A cette heure crépusculaire, le parfum des roses leur arrivait comme une confidence. »


Le XXe siècle, comme tous les autres, depuis que le monde est monde, oscille entre son passé et son avenir, et, dans l’histoire que voici, la matière plastique est au fond des cavernes, le confort moderne asservit ceux qu’il devrait servir, les chevaliers croisent le fer pour la science… Il y a des rêves couleur du temps, de l’hygiène à la découverte… il y a la passion, stable comme notre planète vertigineuse…

Elsa Triolet, Préface de Roses à Crédits

 

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